mardi 20 septembre 2011

Il en restera toujours quelque chose


"Islamisation des jeunes : l'intégrisme l'emporte". Quand j'ai lu ça, j'ai d'abord cru qu'on m'avait déposé la Dernière Heure plutôt que le Soir, dans ma boîte. Bon, c'est pas grave que je me suis dit, un titre pareil, c'est fait pour attirer le client; comme n'importe quelle vulgarité qu'on met en vitrine; Mignonne, allons voir si la prose, etc.

Ben... pas terrible tout ça... La thèse de Leïla El Bachiri, fraîchement docteure en sociologie, est à peine exposée, alors que ce sont avant tout les dangers et l'inquiétude qu'inspirent cette "réislamisation", cette "radicalisation" que pointe(rait) l'étude, à travers l'analyse du rôle de prédicateurs très actifs.  Pourtant, un résumé de la thèse est proposée en téléchargement, et on peut se rendre compte que ce dont parle El Bachiri concerne le rôle et l'influence de ces nouveaux prédicateurs - néosalafistes et fréristes musulmans - sur les jeunes musulmans bruxellois. Oui, ces gens ne sont pas tous bienveillants, oui, ils sont formés et soutenus par notre grande alliée qu'est l'Arabie Saoudite, mais cette thèse, si j'ai bien compris ce que j'en ai lu, porte sur la différence entre ces deux écoles de prédicateurs et l'impact qu'ils ont sur les jeunes musulmans qu'ils rencontrent, et les néosalafistes (fucking) semblent avoir un taux de pénétration des consciences plus probant. C'est tout (ou presque, car elle aborde aussi la place des féministes musulmanes dans les jeunes générations).

Les deux pages que consacre Le Soir à ce travail sont largement relayées par d'autres - Le Vif et la DH en tête - qui se focalisent sur le titre du dossier pour attirer le client sur ce que tout le monde sait et qu'on dit enfin, et que bon, c'était pas vraiment utile de financer ce genre de couillonnade pour en arriver à de telle évidence (je cite de mémoire et synthétise en amalgamant quelques perles ramassées sur les forums des journaux qui en ont parlé). Voilà pour l'événement.  

Bon, que Leïla El Bachiri s'étonne de ce qu'elle lit (Bonjour,Je souhaiterais que vous rectifiiez dès demain le titre de votre article au sujet de ma thèse qui la biaise complètement. En effet, j’étudie le phénomène de la « réislamisation », phénomène marginal par rapport à la dynamique globale de la population issue de l’immigration maghrébine. Je vous invite à lire l’article dans son entièreté qui se termine par « La population d’origine musulmane est multiple, traversée par des courants d’individualisation, de sécularisation, de laïcisation… Mais aussi, je le constate, par un phénomène de réislamisation. ». D’ailleurs dès demain une rectification au journal le Soir à propos de la phrase « un essor "intégriste" et une "radicalisation des jeunes" » rédigée par un autre journaliste aura lieu car lors de l’entretien je n’ai jamais évoqué les termes de radicalisation ou d’intégrisme. Bien à vous, Leïla El Bachiri), on s'en fiche un peu; je dis ON, je ne parle pas de moi, mais de ceux qui "savaient depuis longtemps ce qu'enfin on ose dire" etc; sauf qu'on lui conseillerait quand même d'envoyer un courrier plutôt que d'en passer par un forum pour interpeller un quotidien (pauvre stagiaire modérateur qui a du se demander quoi faire avec ça ...) et de davantage penser au lendemain de la veille de l'interview; parce que bon, le "mal" est fait et bien fait.  Les sites qui portent les bougnoules dans leur coeur s'en sont donné à qui mieux mieux (allez, un exemple pour la route). C'est de bonne guerre finalement. On leur donne de la semoule à moudre, ils auraient tort de s'en priver.
 
Alors quoi? Ben rien.  Ou alors juste, mais juste un tout petit peu hein!, demander un peu plus d'attention dans la manière de relayer ce type d'"information" (vous en connaissez beaucoup vous des thèses de doctorat qui font la une des journaux, et du Soir, en l'occurrence?), parce que franchement, je ne suis pas certain que cela apporte grand chose à quoi que ce soit; cela fait des années que les évidences qui ont été mises en exergue par la titraille journalistique à propos du travail de Leïla El Bachiri sont relayées (allez quelques exemples pour la route : Un quartier dirigé par l'Islam; L'islamisation de Bruxelles n'est pas un fantasme, Bruxelles musulmane en 2030 : l'islamisation en marche, ...), alors dites-donc M'sieurdames les journalistes et scientifiques fraîchement doctorisés ou pas, m'est d'avis que vous devriez regarder la semelle de vos chaussures, je crois bien que vous avez marché dedans.

2 commentaires:

  1. Cher lecteur, merci d'abord de votre intérêt pour "Le Soir".

    J'y travaille depuis plus de 20 ans et croyez bien que ce n'est pas le premier sujet de thèse qui se retrouve en manchette (quand la thèse porte sur un sujet de société et d'actualité).

    Ce qui me frappe, moi, dans ce dossier, c’est la manière dont les médias et la vox populi ont interprété la thèse doctorale de Leïla El Bachiri (dont on trouvera la défense orale sur le site du « Soir »).

    Concrètement, elle documente un phénomène de « réislamisation » (tel que l’a théorisé Olivier Roy) d’une partie de la jeunesse bruxelloise, sous l’influence principale de trois courants: les néosalafistes, les fréristes et leur composante féministe. C'est un fait. Pas banal. Intéressant, du point de vue médiatique.

    Mais alors que ni la chercheuse ni les six articles que je consacre à son travail, dans « Le Soir » de lundi, n’évoquent ni tendance à la « radicalisation » ni à « l’intégrisme », la plupart de mes confrères et la vox populi ont automatiquement assimilé « réislamisation » et « radicalisation » (ce que la thèse doctorale ne démontre absolument pas). Comme si le fait de renouer avec la religion ne pouvait passer que par son expression la plus intolérante!

    Les idées reçues, les stéréotypes, ont manifestement encore de beaux jours devant eux. Ceci m’incitera à encore plus de prudence, à l’heure d’évoquer ce sujet délicat. On ne maîtrise jamais l’interprétation des faits. Le journaliste doit en être conscient, au moment où il tient la plume.

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  2. Merci à vous de ce commentaire. Je n'ai, effectivement, pas vérifié si les sujets de thèse étaient régulièrement mis en manchette, mais ce n'est pas le sentiment que j'ai. Soit.
    Il y a le titre de la Une... c'est cela qui m'a d'abord fait bondir...
    Pour le reste, oui, vous avez raison, la manière dont cela a été utilisé par les autres médias (je ne parle pas des réseaux sociaux ou des forums/commentaires d'articles) est assez aberrantes pour ne pas dire inquiétantes. Ce fut déjà, le cas, dans le Soir, avec Hafida Draoui, il y a quelques mois.
    Le ton utilisé, par moi..., est celui d'un billet d'humeur, illustré et argumenté mais un billet d'humeur quand même, ce qui fait que bien sûr on se 'lâche.

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