lundi 10 septembre 2012

Touche pas à la femme blanche


Imaginons un débat sur les violences policières sans représentants de ladite police... Imaginons un débat sur la proximité entre le monde politique et les médias sans représentants politiques ni journalistes... Impossible, vous dites impossible? C'est pourtant ce qui c'est passé sur la Une télé hier midi (il est possible de revoir ça sur le site de la RTBF), il y avait un débat sur les comportements sexistes et injurieux des 'jeunes issus de qui ne sont pas intégrés' et y'en avait pas un seul sur le plateau... Résultat, on y a parlé de personnes qui semblaient débarquer de Mars. La psychologue, le philosophe, la juriste, les politiques, la journaliste avaient tous/toutes quelque chose de forcément intéressant, juste et définitif à dire sur ceux qui avec le travail de fin d'études de Sofie Peeters sont devenus des stars mondjales, comme la sauce du même nom. Non, mais oh les gars, c'était pas possible d'en mettre un sous bromure pour 45 minutes d'émission? Faut croire que non... Même Alain Destexhe, invité de dernière minute, en était, sans doute pour son amour immodéré des Norvégiens. Voilà un exemple de la manière dont sont vus et considérés des milliers d'habitants de Bruxelles et de la Belgique. Des étrangers. Des pas comme nous. Une espèce de peuplade lointaine dont on dissèque les moeurs, la culture et les traditions pour essayer de les comprendre. On est un peu comme dans un vieux film de Tarzan où les explorateurs vont à la rencontre de l'inconnu et du sauvage.

Et tout ce ramdam, à cause du travail de fin d'études de Sofie Peeters.

Tu sais, Sofie Peeters tu as gâché le début de mes vacances !

Tu vois Sofie, tu permettras que je te tutoie, je pourrais être ton père; d'ailleurs mes filles ont ton âge; l’été, j’essaye de me reposer, de ne pas m’énerver, de ne pas me prendre la tête ni celle des autres.  Cela avait bien commencé. Et puis, alors que je pensais à des lieux plus ensoleillés et plus chauds, Anneessens est devenu le centre du monde. Le quartier Anneessens, j’y travaille depuis 25 ans, alors, en entendre parler durant ses congés… Je ne sais pas qui connaissait Anneessens avant juillet 2012, mais là, c’est devenu Walibitch.

Donc, Sofie Peeters, étudiante en communication, tu as réalisé un reportage comme travail de fin  d’études, travail/reportage qui a largement été diffusé sur les télévisions, réseaux sociaux d’ici et d’ailleurs. C’est ce qu’on appelle un buzz et on peut dire que tu as été bien buzzé. Je ne m’excuse pas, mon éducation a été faite par un poilu venu du fonds de l’Italie.

Et donc, Sofie Peeters, tu t’es promenée avec ton petit engin bien caché (parfois vous étiez deux), et tu as filmé et enregistré la manière dont les zhommes du quartier Anneessens ; ces Norvégiens chers à Alain Destexhe ; quartier où tu as vécu pendant deux ans (car tu en es partie, comme tout chercheur qui a terminé son terrain, pour regagner ta Vlaanderen natale) et où tu t’es faite apostrophée de toutes les façons, souvent pas des plus élégantes ; car si les insultes sont rares, les compliments et les remarques que l’on t’adresse sont lourdingues.

Tu sais Sofie, comme ton pote Mourad le Baron Zeguendi qui t’explique la chose dans ton reportage (c’est un signe de la fin du monde ça !), il y a bientôt quarante ans, je me baladais, avec mes potes dans les rues de Molenbeek, et un des défis qu’il fallait relever pour montrer qu’on osait tout, c’était voler une pomme ou sonner chez n’importe qui, le point commun étant de courir vite. Puis, un défi s’est ajouté. Quand on croisait une jeune femme, il fallait lui mettre la main aux fesses. Je sais, c’est pas malin tout ça, mais en groupe, on est rarement malin, et vers 12-15 ans encore moins, je n’ai pas échappé à la règle. Les femmes, c’était d’abord un cul et des nichons. Sauf ma mère et ma sœur bien sûr. Et tu sais quoi, je crois que, comme beaucoup d’hommes, malgré les années qui ont passé, je n’ai pas beaucoup changé. Enfin, je me soigne.

Et puis, tu as presque gâché mon mercredi de rentrée scolaire. Presque, car avant la diffusion de ton reportage, ‘Questions à la Une’ proposait un reportage sur le harcèlement à l’école. Et tu sais quoi Sofie, les gars que tu montres dans ton reportage, ben ils présentent tous les signes des ceusses qu’on harcèle… Résumons à nouveau : les musulmans, jeunes ou non (on dit musulmans ou jeunes bruxellois, on ne dit plus arabes, ni marocains, mais ce sont les mêmes) sont une menace pour la séparation entre l’Etat et la religion ; sont une menace pour la démocratie ; sont, une menace pour la sécurité et le vivre-ensemble ; sont antisémites ; sont homophobes ; sont une menace pour l’égalité des sexes et la cohésion sociale. C’est beaucoup. Sans compter que ce sont aussi désormais de piètres dragueurs. Alors, bien sûr, comme c’est le cas pour les gosses harcelés, c’est un peu de leur faute ou de leur famille si ça se passe… C’est culturel quoi… Je me suis dit, allez, la télévision a fait son travail… Comment ça c’était involontaire ?

Tu sais Sofie, ramener la pratique des insultes et des remarques sexuelles à un seul groupe d’hommes est au mieux crétin, au pire malhonnête. Les hommes seront majoritairement ceux qui harcèleront, les femmes et les enfants d’abord. Les hommes Sofie, pas les Maghrébins dans 95% des cas comme tu le dis - "Je suis originaire de Louvain, mais je suis venue habiter à Bruxelles, dans le quartier Anneessens, il y a deux ans, pour mes études (...) J’ai été surprise de voir que chaque fois que je sortais en rue, j’étais la cible des remarques des hommes. Des simples sifflets aux remarques carrément vulgaires du style “c’est combien?” (...) il s’agit de personnes allochtones (NDLR: comprenez d’origine maghrébine) dans 95% des cas (...) Non, personne ne m’a jamais taxée de racisme. Car mon constat porte plus sur la condition sociale des individus que sur leur origine ethnique" est aussi imbécile que ce qu’en ont fait les sites extrémistes et islamophobes dont je te joins un exemple. C'est la même soupe que servait Alain Destexhe sur le plateau de Mise au Point : "Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Sofie Peeters qui le dit". Alain Destexhe, qui lui aussi aime les femmes pour ce qu'elles sont...

Pour eux, ce serait donc ‘Moi Tarzan, Toi Jane. Nous bunga bunga !’ C’est un peu plus complexe. Les gars dont tu parles, dis-moi, à part en rue, ils en voient quand des ‘Blanches’ comme toi ? A l’école… ben non… Au travail, ben non… ils n’en n’ont pas pour la plupart… Et ce que l’on dit et montre des ‘Blanches’ comme toi, c’est ce qu’en montre, notamment, le Parti Populaire – Parti ô combien soucieux du respect des femmes – sur ses affiches de campagne à Huy ou, au hasard, une pub pour produits ménagers... D'ailleurs, si tu crois que seuls les gars d'Anneessens sont lourdingues, je te conseille d'aller faire un tour en Italie ou en Vlaanderen, via la pub toujours. Je comprends que ton envie de venir habiter cette belle ville multiculturelle qu'est Bruxelles - c'est pas moi qui le dit, c'est toi dans ton reportage - ait été un peu beaucoup mise à mal une fois la réalité de terrain rencontrée. C'est ce qu'on appelle l'exotisme.

Alors, sans doute oui, ces gars disent bêtement et vulgairement, ce que la plupart des autres mecs disent de manière, paraît-il, plus subtile. Et ça, Sofie, ton reportage ne le dit, ni ne le montre.

Je ne te salue pas, tu pourrais prendre ça pour une remarque déplacée et je pourrais me voir infliger une amende.